Censés favoriser l’emploi local et s’inscrire dans les Jeux olympiques les plus « responsables » et « durables » de l’histoire, les souvenirs officiels de Paris 2024 sont majoritairement fabriqués… en Asie.
Un rendez-vous avec l’Histoire ! Le 26 juillet, à 19 h 30 précise, plusieurs milliers d’athlètes de tous les pays défileront sur la Seine lors d’une cérémonie inédite. Le top départ du très attendu Paris 2024, les Jeux olympiques et paralympiques que les organisateurs français souhaitent « plus responsables, plus durables, plus solidaires et plus inclusifs ». Mieux, ce « nouveau modèle » de compétition sportive nous laissera, promet-on, un « héritage », sous la forme d’infrastructures (stades, logements, etc.) et d’emplois. Un contrat moral censé guider tous les choix, y compris ceux concernant les produits dérivés. Comme tous les événements sportifs d’ampleur, les JO charrieront en effet leur lot de souvenirs : peluches, casquettes, mugs, magnets, jouets, t-shirt, pantalons ou encore parures de lit. La fabrication de ces millions d’objets est assurée par 75 sociétés triées sur le volet. Sur son site Internet, le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (Cojop) est formel : « Pour ses produits officiels sous licence, Paris 2024 a fait le choix de privilégier des entreprises françaises aux savoir-faire reconnus. »
Bonnet phrygien
Ces sociétés fabriquent-elles pour autant ces souvenirs sur le sol national ? En ce qui concerne la fameuse mascotte des JO, l’affaire est entendue : on sait depuis quasiment deux ans que cette peluche en forme de bonnet phrygien (symbole de la Révolution française) est importée principalement de Chine (lire encadré « 3 questions à »). Quid des autres ? Nous avons passé au crible les fiches-produits de 360 références proposées par la boutique en ligne de Paris 2024. Le constat est sans appel : en février, seules 16 % étaient françaises, l’écrasante majorité étant importée d’Asie. Entrons plus précisément dans le classement général des pays fournisseurs : la Chine décroche la médaille d’or avec 33 % des objets sortant de ses usines. Le Bangladesh se hisse sur la deuxième marche du podium avec 21 % des articles. La France, elle, ne récolte qu’une médaille de bronze avec ses 16 %, distançant de peu la Turquie (11 %), le Maroc et le Pakistan (5 %). Contacté par Que Choisir, le Cojop ne conteste pas notre décompte.
Faut-il en conclure qu’il n’a aucune stratégie pour favoriser la fabrication française ? Clairement, non. Les organisateurs préfèrent insister sur d’autres chiffres. « Sur les 75 sociétés licenciées de Paris 2024, plus de la moitié (60 %) proposent des produits Made in France », nous répondent-ils. Leur but n’était pas de faire fabriquer 100 % de ces goodies dans notre pays, mais de trouver une sorte d’équilibre entre production nationale et mise à disposition de souvenirs à prix accessibles : « Paris 2024 tenait à proposer au moins un objet Made in France dans toutes les catégories. » Original, ce choix brouille cependant la lisibilité de l’offre…
Exemple avec le plus franchouillard des accessoires : le béret. La PME bayonnaise Le Béret français en commercialise un spécial JO à 35 €. Du tricotage à la teinture, toutes les étapes de fabrication se déroulent dans l’Hexagone. « Même notre laine est d’ici », signale Nathalie de Mauduit, la directrice générale de l’entreprise. Les Jeux ont le mérite de gonfler ses carnets de commandes. Le hic, comme a pu le constater Que Choisir, c’est que l’on trouve sur les étals un autre couvre-chef très ressemblant, mais vendu une dizaine d’euros moins cher et fabriqué en Chine. La société française Cotton Division, qui importe ce béret lui aussi labellisé « Paris 2024 », n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Et elle n’est pas la seule !
Le bleu-blanc-rouge se paie
Nous aurions aussi aimé interroger Fanatics, le géant américain animant la boutique officielle en ligne de Paris 2024 et y proposant une importante quantité de produits dérivés (30 % des articles textiles vendus sur le site), tous fabriqués en Asie. Dommage. D’autres, en revanche, ont joué le jeu de la transparence, comme Nicolas Vix, patron de la société Weeplay. Spécialisée dans les licences sportives (PSG, Le Tour de France…), cette entreprise parisienne a été mandatée pour mettre sur le marché environ 200 références textiles estampillées « Paris 2024 ». « Nos fournisseurs sont historiquement basés en Chine, au Bangladesh, en Turquie et au Portugal. Mais, depuis deux ans, nous nous fournissons aussi en France. En nous apportant du volume, les JO vont nous aider à développer cette filière », assure Nicolas Vix. Avant de préciser : « Pour Paris 2024, une trentaine de souvenirs seront fabriqués sur notre territoire. Les prix de ces articles seront plus élevés, car les coûts de production sont ici deux fois plus importants en moyenne. »
Comme souvent lorsqu’il s’agit de Made in France, la question du coût de fabrication – et donc du prix de vente – arrive vite sur la table. Tout comme, d’ailleurs, celle de l’existence d’usines en mesure de répondre à la demande. Dans ce contexte, aurait-on pu fabriquer davantage d’objets Paris 2024 en métropole ? Selon le Cojop, l’offre actuelle est « en adéquation avec la demande » ; comprendre, suffisante. Un avis que ne partage pas Gilles Attaf, président du label Origine France Garantie : « On avait le temps de s’organiser, de relancer des filières et de montrer au monde entier que nous sommes en capacité de produire. Tout cela traduit surtout la volonté de mettre l’accent, une nouvelle fois, sur le prix. » Afin de maximiser les ventes ? Paris 2024 y aurait tout intérêt.
Les organisateurs des JO espèrent récupérer environ 130 millions d’euros grâce aux licences. Concrètement, chaque entreprise leur verse une redevance proportionnelle au chiffre d’affaires. Cette commission a été fixée, contrat par contrat, lors de la sélection des candidatures. Pour les départager, le Comité avait énoncé six critères, rangés par ordre d’importance. Le niveau de rémunération proposé par la société candidate était le critère de sélection numéro 1, tandis que « l’alignement avec les ambitions sociales et environnementales de Paris 2024 » ne pointait qu’en troisième position.
Le Coq sportif – La collection « Équipe de France » vient du Maroc
Cocorico ! Succédant à Lacoste, le Coq sportif est devenu, en 2020, l’équipementier officiel de l’équipe de France olympique et paralympique. L’entreprise de Romilly-sur-Seine (Aube) fournira les tenues portées par les athlètes de 60 fédérations tout au long des JO de Paris 2024, aussi bien lorsqu’ils seront en compétition (kimonos, maillots…), à l’entraînement ou en représentation (podiums et village olympique). Une partie de ces tenues bleu-blanc-rouge, dessinées par le créateur parisien Stéphane Ashpool, est commercialisée auprès du grand public. T-shirts, pantalons, casquettes… À l’heure où nous écrivons ces lignes, la collection « Équipe de France » compte 44 références proposées à la vente sur le site Internet du Coq sportif. Or, surprise, ces tenues sont pour les trois quarts fabriquées au Maroc. Plus précisément, si quelques étapes de fabrication (tricotage et teinture) se déroulent en France, en Espagne et au Portugal, la confection est essentiellement réalisée de l’autre côté de la Méditerranée. Voilà pourquoi, en magasin, les étiquettes des vêtements font apparaître la mention « Fabriqué au Maroc ». Contacté à de multiples reprises, le Coq sportif n’a pas donné suite à nos demandes de précisions sur l’origine de ses produits.
3 questions à Alain Joly, président de Doudou et Compagnie
QC Vous êtes l’un des deux fabricants de mascottes Paris 2024. Pourquoi les produire surtout en Chine ?
Alain Joly De façon générale, sur le marché de la peluche, toute la production industrielle a lieu en Asie, là où le coût du travail est 7 à 10 fois moins élevé qu’en France. Or, la main-d’œuvre représente environ 90 % du coût de fabrication d’une peluche. La mascotte ne déroge pas à cette règle, elle nécessite de 45 minutes à une heure de travail manuel sans aucune possibilité d’automatiser. Si on voulait la fabriquer en France, il faudrait la vendre 70 € ! Toutefois, lors de l’appel à candidatures pour devenir licencié de Paris 2024, nous avons indiqué pouvoir assurer chez nous une partie de la production, car nous avons ouvert, il y a quelques années, une usine de 3 000 m2 à La Guerche-de-Bretagne, en Ille-et-Vilaine. Les investissements réalisés et les embauches qui en ont découlé sont inédits en France.
QC En 2022, il n’était question que d’environ 20 % de mascottes produites en France. Cette proportion a déclenché une vive polémique…
A. J. Elle fut positive, car elle a mis en avant nos investissements pour fabriquer des mascottes dans l’Hexagone. Mais si nous produisons 1 000 peluches par jour en France actuellement, il est impossible de dire quel sera le pourcentage final de celles faites dans notre pays : cela dépendra du niveau des ventes. Nous ne répondons pas à une commande publique de mascottes, ce sont nos commerciaux qui trouvent les débouchés. D’ailleurs, si les boutiques officielles des JO et des réseaux comme Fnac-Darty jouent le jeu du Made in France, d’autres ne se bousculent pas pour mettre en avant ces produits…
QC Pour votre licence Paris 2024 de bonnets, vous annoncez une production cette fois 100 % nationale. Pourquoi ?
A. J. Cet article est beaucoup plus simple à fabriquer et nécessite bien moins d’opérations. Nous réussissons donc à le concevoir en France et à l’afficher au prix raisonnable de 19,90 €.
Boris Cassel