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Maisons fissurées -10 millions d’habitations menacées

Néfaste pour la nature et l’agriculture, la sécheresse met aussi en péril les fondations des bâtiments à cause du retrait-gonflement des argiles.

Les Français l’ont bien ressenti : il n’a jamais fait aussi chaud qu’en 2023. En tout cas, pas depuis 1850 et les premiers relevés météo­rologiques. Or, qui dit chaleur, dit sécheresse et, avec elle, un phénomène géologique encore méconnu du grand public : le retrait-gonflement des argiles (RGA). En période de fortes températures, le sol se rétracte plus ou moins fortement, puis il gonfle comme une éponge lorsque la pluie revient. Si le sous-sol est très argileux – ce qui est le cas de 48 % du territoire, selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) –, cet effet élastique s’avère considérable.

Le retrait-gonflement des argiles (RGA)

« Le RGA affecte le sol de manière hétérogène. Il conduit à la formation de cuves et de bosses, ce qui fragilise les ­fondations jusqu’à les fracturer », décrit la sénatrice Christine Lavarde dans un rapport de 2023, qui pointe la problématique de l’indemnisation (1). Le Centre-Val de Loire, l’Île-de-France et l’Occitanie sont particulièrement exposés. Il y a plus de 10 millions de maisons potentiellement concernées ! « Le RGA est l’un des effets les plus pervers des aléas climatiques, justement car il n’est pas lié qu’au réchauffement, mais aussi à la nature du sous-sol, à la qualité des constructions, à l’écoulement des eaux…, alerte Vincent Ledoux, député Renaissance du Nord et auteur du dernier rapport (2) sur le sujet. Les conséquences sont dramatiques : une maison fissurée n’est plus étanche au froid et à l’humidité, elle peut s’écrouler et le taux de récidive est de 17 % après réparation. »

Premier poste d’indemnisation Cat Nat

Le risque de RGA touche surtout les pavillons, aux fondations moins profondes et à la structure plus légère que celles des immeubles. Dans la Sarthe, Mohamed Benyahia se bat depuis 5 ans pour éviter le drame (lire l’encadré). S’il a été le premier à se déclarer sinistré dans sa commune, ils sont désormais cinq à être touchés. Urgence maisons fissurées, l’association qu’il a fondée en 2018, compte désormais 400 adhérents dans son seul département. Les sécheresses se multipliant, de plus en plus de maisons seront affectées. Le BRGM estime à présent qu’un épisode chaud d’ampleur devrait survenir une année sur trois entre 2020 et 2050.

Depuis 2016, la sinistralité due à la sécheresse géo­tech­nique, qui provoque le RGA, a ravi la première place aux inondations (sauf en 2021), avec un coût de 3,5 mil­­liards d’euros en 2022, selon les chiffres de la Caisse centrale de réassurance (CCR). « Le prix cumulé de la sinistralité sécheresse entre 2020 et 2050 représenterait 43 milliards d’euros, soit un triplement par rapport aux trois décennies précédentes. Le régime Cat Nat ne serait ainsi plus en mesure de dégager assez de réserves pour couvrir les sinistres », alerte Christine Lavarde. Et il s’agit là uniquement des sinistres considérés comme consécutifs à un état de catastrophe naturelle… sachant que seule la moitié des communes obtiennent cette reconnaissance au titre de la sécheresse. Et, parmi les dossiers déposés, à peine 50 % bénéficient d’une indemnisation.

Coupable lenteur

« La procédure est trop lente. Cela peut prendre des années pour être indemnisé à compter de l’apparition des premières fissures, et encore, seulement si l’expert de l’assurance considère qu’elles sont liées à la sécheresse ! », ­s’insurge Vincent Ledoux, qui souhaite que les victimes de RGA soient « traitées de la même manière que les autres victimes de catastrophes naturelles ».

Outre la lenteur, le député dénonce l’absence de mobilisation des territoires, de mesures de relogement ou d’accompagnement psychologique. Par exemple, la commune de Montgeron (Essonne) tente depuis des années d’obtenir un arrêté de Cat Nat sécheresse, mais sans succès, « malgré les 97 maisons fissurées officiellement déclarées rien qu’en 2023 », soupire la maire, Sylvie Carillon.

« Il faut aussi une remise à plat de la profession d’expert aux assurances », plaide Vincent Ledoux. Il cite en exemple une famille d’Halluin (59) qui a constaté les premières lézardes sur sa maison en 2019, avec une aggravation en 2020. La ville a décroché l’arrêté de Cat Nat un an après. Les experts, eux, ne sont passés qu’entre novembre 2021 et août 2022, plusieurs maisons voisines étant aussi concernées. À ce jour, les assureurs se renvoient la balle et n’ont pas tranché entre réparation et démolition-reconstruction. Depuis quatre ans, les conditions de vie de cette famille sont déplorables. Et illustrent que le RGA devient une urgence sociale.

Témoignage de Mohamed Benyahia, 63 ans, Neuville-sur-Sarthe

« Depuis cinq ans, je vis dans une maison qui menace de s’effondrer »

Un jour de septembre, en 2018, alors que je jardine, mon épouse ­m’interpelle et me dit de regarder le mur. Je vois une longue fissure sur ma maison, qui part du sol, rejoint le coin inférieur droit d’une fenêtre puis va jusqu’au toit. Elle n’existait pas avant cet été-là ! Mon premier réflexe est de contacter mon assureur et le maire. Mais ni l’un ni l’autre ne peuvent me renseigner sur le moment. J’ai réussi, seul, à trouver un ingénieur, en démarchant des entreprises de BTP. Il a bien voulu se déplacer chez moi et m’a expliqué que ma maison était « victime » de RGA. L’assureur m’a informé ensuite que cela n’entrait pas dans le champ de mon contrat habitation et qu’il faudrait un arrêté de catastrophe naturelle… que j’attends toujours, car les critères pour y être éligibles sont trop restrictifs. Depuis, les fissures se sont ­multipliées. J’ai payé 3 000 € de ma poche pour maintenir le mur avec des poutres en métal fixées à ma terrasse. Je n’ai pas les moyens de dépenser 50 000 € pour des micro­pieux et je ne peux prétendre à aucune indemnisation ! Depuis cinq ans, je vis donc dans une maison qui menace de s’effondrer.

Comment se prémunir du risque ?

Vérifiez sur le site Georisques.gouv.fr si votre habitation se situe en zone argileuse. Si c’est le cas et que le risque est important, prenez les devants. Il existe plusieurs techniques, qui s’utilisent en fonction du sol.

  • Les premières, dites « horizontales », consistent à retirer les arbres buveurs d’eau, comme les saules pleureurs, à poser des écrans antiracines, à réaliser un drainage, à réhydrater les sols… Comptez quelques milliers d’euros.
  • La technique « verticale » est plus complexe. On renforce les fondations en installant des micropieux remplis de ciment qui traversent la couche d’argile. Efficace, mais cher : de 21 000 à 76 000 €.

(1) Rapport d’information n° 354 sur le financement du risque de ­retrait­-gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti, Christine Lavarde, 15/02/2023.
(2) Rapport Ledoux sur le phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA), 19/10/2023.

Sandra Strasser

Sandra Strasser

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