Cette mention, qui concurrence l’appellation d’origine protégée (AOP) « Camembert de Normandie », aurait dû disparaître des étiquettes au 1er janvier 2021. Pourtant, elle est toujours présente dans la plupart des magasins que nous avons visités, alors même que le Conseil d’État a rejeté la requête du syndicat des fabricants non AOP soutenu par Lactalis. Explications.
Les fabricants de camembert étaient officiellement prévenus depuis le 9 juillet 2020 : « la dénomination « Camembert de Normandie » est protégée au niveau européen contre toute utilisation commerciale » qui s’avérerait trompeuse pour le consommateur, rappelait la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans un « avis aux opérateurs économiques ». Conséquence, « la mention « Fabriqué en Normandie » n’est pas possible sur un fromage non AOP ».
MULTIPLICATION DES RÉFÉRENCES À LA NORMANDIE
Un mois après l’entrée en vigueur de cette interdiction, les enquêteurs de l’UFC-Que Choisir sont allés scruter les rayons fromages des grandes surfaces (1). Non seulement la mention « Fabriqué en Normandie » reste largement présente sur les boîtes de camembert, mais d’autres allégations multipliant les références à cette région fleurissent. Au total, 85 % des grandes surfaces visitées proposent des fromages non AOP dont les étiquettes font allusion à cette région, qu’il s’agisse du lait, des fermes ou de la fabrication. Nous avons relevé au moins 14 marques différentes jouant avec tout un panel de mots.
Qu’il s’agisse du format « classique » ou de son « camembert de campagne », Président cumule les mentions « Fabriqué en Normandie » et « 100 % lait normand ». Le Rustique, une marque du groupe Savencia, opte pour « Lait collecté en fermes normandes », Lanquetot balance entre « Fabriqué en Normandie » et « Lait 100 % normand » selon les boîtes, tandis que Graindorge (racheté par Lactalis en 2016) évoque les « Traditions de Normandie ». Auchan, pour sa marque propre, affiche « Lait de Normandie », alors que d’autres suggèrent la région dans le nom de leur produit : « Le fin Normand, « Petit Normand », « Le bon Normand », etc.
LES TENANTS DU « FABRIQUÉ EN NORMANDIE » DÉBOUTÉS PAR LE CONSEIL D’ÉTAT
Lactalis est surreprésenté dans notre échantillon : son camembert Président compte pour 45 % des mentions « Fabriqué en Normandie », suivi de Lepetit (17 %) et Lanquetot (16 %). En incluant l’ensemble des marques du groupe, plus des deux tiers de cette mention sont de son fait. Ce n’est pas une surprise : le leader français des fromagers ne cache pas son opposition à toute restriction d’utilisation du terme « Normandie ». Mais c’est le Syndicat normand des fabricants de camembert (SNFC, qui représente les producteurs de camemberts non AOP), dont Lactalis est un membre influent, qui monte au créneau contre la DGCCRF. Dans une ultime tentative, le syndicat a déposé, le 8 décembre dernier, une requête en référé auprès du Conseil d’État pour demander la suspension de l’avis du 9 juillet. En vain : la haute juridiction administrative a rejeté sa demande le 24 décembre. Les arguments du SNFC quant à l’antériorité de l’utilisation du terme « Fabriqué en Normandie » sur l’AOP ou encore la rupture d’égalité vis-à-vis des fabricants de camemberts situés hors de Normandie qui, eux, peuvent faire mention de leur région n’ont, semble-t-il, pas convaincu les juges.
Le jugement, sur la forme, va au-delà des espoirs des défenseurs de l’AOP, en confirmant que la fin de la « tolérance administrative » vis-à-vis du « Fabriqué en Normandie » est justifiée. « La mise en exergue de la mention « Fabriqué en Normandie » dans des conditions, tenant notamment à la composition de l’étiquette, à la typographie utilisée, au graphisme, de nature à induire un risque de confusion dans l’esprit des consommateurs » est effectivement « susceptible de porter atteinte » à l’AOP, explicite le jugement. Le Conseil d’État renvoie vers le règlement européen de 2012 sur les signes de qualité, qui stipule que les AOP sont protégées contre toute référence « susceptible d’induire le consommateur en erreur ». L’Union européenne a d’ailleurs mis en demeure la France de faire cesser cette coexistence contraire à la réglementation.
CONTRÔLES À VENIR
Un jugement sur le fond devrait être rendu cette année, sans doute au printemps. Il devrait définitivement mettre fin à l’emploi de la mention « Fabriqué en Normandie » et « arrêter la confusion » avec l’AOP, espère Patrice Chassard, président du Comité des appellations laitières à l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité). Et enfin solder un feuilleton qui dure depuis trop longtemps, fragilisant les filières sous signe de qualité.
D’ici là, la DGCCRF devrait commencer les contrôles en magasins « très prochainement », a-t-elle signalé à Que Choisir. L’administration laissait un sursis aux fromagers pour écouler leurs anciens lots d’étiquettes désormais non conformes. Si Lactalis ne s’obstine pas, la mention « Fabriqué en Normandie » devrait progressivement disparaître. Mais elle laissera la place aux nouvelles promesses avec lesquelles elle cohabite aujourd’hui. La confusion avec l’AOP Camembert de Normandie ne fait que se déplacer…
Lactalis ne lâche rien
À qui Lactalis adressait-il vraiment ces pleines pages de publicité parues dans plusieurs titres de la presse nationale, les 3 et 6 février 2021 ? Signalait-il aux acheteurs des camemberts Président que la mention « Fabriqué en Normandie » serait remplacée par « Fabriqué dans l’Orne » ? Ou était-ce un message politique avertissant qu’il ne renoncerait pas ? Dans les deux cas, son ironie fait grincer des dents dans la filière laitière.
De même que le logo bleu-blanc-rouge désignant le fabricant comme « entreprise familiale française ». C’est factuellement exact puisque Lactalis est détenu à 100 % par la famille Besnier. Mais on est loin de la sympathique PME qui fleure bon le terroir normand : il s’agit du n° 1 mondial des produits laitiers, engrangeant 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019 et dont les holdings de tête sont domiciliées au Luxembourg.
(1) Enquête réalisée du 28 janvier au 8 février dans 485 magasins de la grande distribution (hard discount inclus) de 64 départements.
Elsa Casalegno