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Rénovation énergétique – Un gouffre financier

Depuis 15 ans, les politiques publiques se succèdent pour embarquer les Français dans la rénovation énergétique des logements. Avec des résultats mitigés. D’où la priorité désormais donnée aux chantiers d’ampleur, qui cumulent plusieurs types de travaux. Sur le papier, c’est ce qui semble le plus efficace. Mais, sur le terrain, ce n’est pas des plus simples.

À l’automne 2023, Stéphanie Cases souhaite procéder à l’isolation thermique par l’extérieur de son logement. Elle vit avec ses deux enfants à Boussy-Saint-Antoine (91). Sa maison de 85 m², qui date des années 1970, était notée F au diagnostic de performance énergétique (DPE) lors de l’achat, en 2020. C’est l’une des 4,8 millions de résidences principales considérées comme des passoires thermiques (étiquettes F et G) en France. « De nouvelles fenêtres avaient été posées récemment, et le toit avait été isolé. Toutefois, je savais qu’il me res­tait beaucoup à faire », relate Stéphanie.

Rapidement, elle remplace la vieille chaudière à gaz et ajoute un poêle à bois. Les factures baissent, mais « il y avait toujours des déperditions, j’avais l’impression de chauffer pour rien, sans compter l’humidité ». Stéphanie envisage donc d’isoler ses murs par l’extérieur. Afin de l’aider à monter son dossier, elle contacte Hellio, une entreprise spécialisée dans la maîtrise de l’énergie. Qui calcule, une fois les primes déduites, qu’elle devra payer de sa poche 7 000 € pour ce seul geste.

Voir plus grand pour payer moins cher ?

Paradoxalement, Hellio l’invite alors à voir plus grand, en ajoutant l’isolation du plancher bas, le changement de la porte d’entrée et l’installation d’une ventilation mécanique contrôlée (VMC). Le coût du chantier grimpe à 31 650 €. Cependant, cela correspond pile à ce que veut désormais encourager le gouvernement : à savoir, les rénovations d’ampleur, qui combinent au moins deux gestes de travaux d’un seul coup et font gagner plusieurs classes énergétiques au DPE. C’est bien le cas pour Stéphanie. Sa maison serait en mesure de décrocher un D. Avec la prime écologie de l’Essonne, ses aides atteindraient 29 046 €. Soit un reste à charge de 2 604 €. Nettement plus abordable !

Des interdictions de louer

Passer des rénovations geste par geste à celles d’ampleur : ce changement de paradigme désiré par l’État s’est d’abord traduit par une multipli­cation des contraintes sur les habitations les plus énergivores de notre parc. Depuis le 1er janvier 2023, les logements classés G+, soit le pire des passoires thermiques, ne peuvent plus être loués au départ du locataire ou à la fin du bail. L’interdiction s’étendra à tous les biens G au 1er janvier prochain, puis aux F en 2028 et aux E en 2034.

En parallèle, tant dans les montants alloués que dans la communication, le paquet a été mis sur MaPrimeRénov’ Parcours accompagné. Ce nouveau dispositif s’adresse à tous les ménages, occupants comme bailleurs, et quels que soient leurs revenus. Parmi les conditions à remplir : réaliser au minimum deux gestes d’isolation (toiture, fenêtre/menuiserie, sols ou murs), changer son système de chauffage s’il fonctionne encore au fioul ou au charbon, ou bien gagner au moins deux classes énergétiques.

Il faut réaliser au moins deux gestes d’isolation pour pouvoir prétendre à MaPrimeRénov’.

En contrepartie, MaPrimeRénov’ prend en charge 80 % des dépenses dans la limite d’un plafond de travaux de 40 000 € hors taxe pour les ménages aux revenus très modestes ; on passe à 60 % pour les foyers modestes, à 45 % pour les intermédiaires et à 30 % pour les plus aisés. Ce n’est pas rien. D’autant plus qu’un bonus supplémentaire de 10 % s’applique si le logement sort de la catégorie des passoires énergétiques, et que les plafonds d’aide augmentent dès lors que la rénovation permet un bond de plus de deux classes au DPE.

Un chantier clé de la transition écologique

Si les chantiers d’ampleur sont si encouragés, c’est que notre pays s’est engagé à atteindre la neutralité carbone en 2050 et à réduire de 40 % ses émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030 par rapport à 1990. Cet objectif intermédiaire devrait être révisé à -55 % dans la prochaine Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Toutefois, même pour tomber à -40 %, nous ne sommes pas encore sur la bonne trajectoire. Et si décarboner les transports demeure le chantier prioritaire, le logement arrive pas loin derrière. Ce secteur représente en effet 30 % de l’énergie utilisée dans l’Hexagone, et 10 % de nos émissions de GES.

L’objectif inscrit dans la SNBC est de conduire d’ici à 2050 la moyenne de l’ensemble du parc immobilier au niveau Bâtiment basse consommation (BBC) – ce qui correspond aux notes A et B du DPE. Or, seules 1,7 million de résidences prin­ci­pales les avaient décrochées au 1er janvier 2023, la classe D restant encore la plus représentée (32,9 %). En outre, comme nous l’avons déjà dit, la France compte 4,8 millions de passoires. Pourtant, les politiques publiques se succèdent depuis 2009 afin d’inciter les ménages à la rénovation énergétique des logements, en mettant de plus en plus d’argent sur la table. « De 2015 à 2022, la dépense publique en la matière a doublé, pour atteindre 5,2 milliards d’euros en 2022 », rappelait la Cour des comptes en octobre 2023. Les montants se sont stabilisés depuis.

Mais à quoi servent tous ces milliards ? La très grande majorité des 569 243 rénovations qui ont bénéficié de MaPrimeRénov’ en 2023 portaient sur des monogestes. Même constat pour les 669 890 chantiers de 2022, les 644 073 de 2021… « Ces 15 dernières années, 95 % des travaux entrepris sous couvert de rénovation énergétique ont consisté à changer les fenêtres ou le chauffage, fustige Vincent Legrand, président de Dorémi, une entreprise à but non lucratif qui accompagne des rénovations de maisons individuelles visant le niveau BBC. C’est comme si on n’avait rien fait ! »

Des résultats mitigés

Un propos que viennent nuancer les enquêtes « Travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles » (dites Tremi) de l’Agence de la transition écologique (Ademe), qui réalisent une analyse de l’efficacité des chantiers entrepris. La dernière en date se penchait sur les 3,1 millions de maisons ayant fait l’objet d’une rénovation « potentiellement » énergétique en 2019. Ces travaux ont permis de diminuer les émissions conventionnelles (indépendantes du comportement des occupants) de ce parc immobilier de 2,1 millions de tonnes équivalent CO2. Ils se sont aussi traduits par des baisses de la consommation d’énergie dans 2,3 millions d’habitations rénovées cette année-là, pour une économie totale de 8,1 térawattheures (TWh) par an, estimait l’étude.

Certains monogestes, comme l’installation d’un système de chauffage décarboné, restent financés par MaPrimeRénov’.

Toutefois, on peut également voir le verre à moitié vide. Car 800 000 maisons rénovées en 2019 n’ont pas vu leurs consommations d’énergie chuter – d’où un faible impact sur la facture. « C’est le problème quand on ne prend la rénovation énergétique que sous l’angle des gaz à effet de serre, explique le sénateur écologiste Guillaume Gontard, rapporteur d’une commission d’enquête sur le sujet. Dans ce cas-là, on incite fortement les Français à passer aux pompes à chaleur, comme on le fait encore aujourd’hui, et, effectivement, la plupart du temps, on réduit les émissions, parfois même les consommations d’énergie. Cependant, moins qu’on aurait pu. Surtout, on laisse de côté tous les autres enjeux de la rénovation. »

Le fruit d’une mûre réflexion

Baisse des factures, mais aussi amélioration du confort (hiver comme été), prise en compte de la qualité de l’air et de la valeur patrimoniale du bien (de plus en plus sensible à la classe affichée sur le DPE)… Pour jouer sur tous ces tableaux, il faut avoir quelques règles en tête. Primo, on n’installe pas un nouveau système de chauffage dans une habitation mal isolée, au risque de rester en précarité énergétique. Deuzio, on n’isole pas un logement sans réfléchir en même temps à des solutions qui garantiront la ventilation de l’air intérieur. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) évalue à 20 000 le nombre de décès annuels prématurés dus à l’exposition à plusieurs polluants de l’air intérieur… Dernière astuce : « Lorsqu’on isole par l’extérieur sa maison, il faut penser à mettre ses fenêtres au nu extérieur, alignées avec la nouvelle paroi posée, conseille Vincent Legrand. Les décalages exposent aux ponts thermiques, des ruptures dans l’isolation par où la chaleur s’échappera. »

En clair, si l’on fait sien l’objectif national de viser le niveau BBC en 2050, « mieux vaut avoir d’emblée une vision globale de son logement rénové et de toutes les étapes qui y conduisent », résume Marie Gracia, directrice d’Effinergie, association qui promeut les chantiers BBC. D’où le cap mis sur les rénovations d’ampleur : elles seules sont « en mesure de répondre aux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique tels qu’ils ont été définis par la SNBC », jugeait la Cour des comptes en octobre 2023. Facile à dire sur le papier. Sur le terrain, c’est une autre histoire. Le gouvernement s’y est essayé en début d’année, en limitant drastiquement la distribution d’aides publiques pour les monogestes. Un parcours dédié existe toujours, mais sa seule porte d’entrée était l’installation d’un système de chauffage ou d’eau chaude sanitaire décarboné. Il était prévu, par ailleurs, d’en exclure les passoires énergétiques à partir du mois de juillet, dans le but de les contraindre à s’orienter vers les rénovations d’ampleur.

Un pas en arrière

Si cette nouvelle orientation n’est pas la seule cause, elle a joué un rôle dans la chute de 40 % des demandes MaPrimeRénov’ en janvier et février 2024. « On a perdu tous ceux qui ne sont pas dans la perspective de vendre ou d’acheter un bien, mais juste de l’entretenir, constate Audrey Zermati, directrice stratégique d’Effy, une société spécialisée dans les travaux de rénovation pour les particuliers. Ces propriétaires sont plus dans une optique de mono­gestes, et on les emmènera difficilement vers les rénovations d’ampleur – plus complexes, avec un reste à charge plus important à financer et des travaux plus longs à gérer, pouvant occasionner un déménagement, etc. »

Dès la mi-mars, face à l’effondrement du nombre de chantiers, l’exécutif a fait machine arrière. Il a reporté à 2025 l’obligation pour les passoires thermiques d’entrer dans une démarche de rénovation d’ampleur pour toucher MaPrimeRénov’, et a de nouveau facilité la possibilité de financer les monogestes. Retour ainsi à la situation de 2023… au risque de prendre une année de retard supplémentaire sur les objectifs 2050. Pourtant, l’association Effinergie invite à ne pas se faire une montagne du niveau BBC. Son observatoire compile en ligne 1 500 fiches descriptives de rénovations qui sont parvenues à l’atteindre. On y trouve des maisons comme des immeubles, y compris en plein Paris !

Plusieurs solutions de financement

Certes, les montants à investir risquent de faire peur, « jusqu’à dépasser même fréquemment, aujourd’hui, les 100 000 € pour une seule maison, concède Vincent Legrand. Néanmoins, il existe diverses solutions de financement, pas seulement MaPrime­Rénov’. Notamment le prêt à taux zéro, qui peut s’élever jusqu’à 50 000 € et être remboursable sur 20 ans. Dans bien des cas, il couvre la totalité du reste à charge des projets que nous accompagnons. » De son côté, Dorémi s’engage à ce que l’habitation rénovée atteigne 50 kilowattheures (kWh) par mètre carré et par an de consommation d’énergie. « Dans une maison de 100 à 120 m², la facture énergétique oscille entre 3 000 et 3 500 € annuels, détaille Vincent Legrand. À 50 kWh, elle tombe à 500 €, auxquels il faut ajouter 2 500 € de remboursement du prêt à taux zéro. Le gain financier n’est certes pas immédiat, mais vous gagnez en confort et votre bien a pris de la valeur. »

Avancer par étapes ?

Point encourageant : le nombre de rénovations d’ampleur s’accroît ces dernières années. On est passé de 65 939 à 71 613 entre 2022 et 2023, alors que la quantité totale de celles aidées par MaPrimeRénov’ a baissé sur cette même période. Et si 2024 a mal démarré, 23 376 demandes d’aides pour des rénovations d’ampleur ont été déposées au deuxième trimestre (soit +61 % par rapport à 2023). Audrey Zermati n’est pas étonnée : « On note une augmentation sensible des intentions de rénovation d’ampleur, notamment chez ceux qui vendent ou achètent un bien et veulent profiter de cette mutation pour engager de gros travaux. »

Cet accent mis sur les chantiers globaux finira peut-être par payer. À condition de permettre aux propriétaires d’avancer par étapes – et dans le bon ordre ! – vers la rénovation BBC. Avec MaPrime­Rénov’ Parcours accompagné, on peut déjà effectuer les travaux en deux fois, tant que leur durée n’excède pas cinq ans. Marie Gracia met toutefois en garde : « Plus il y a d’étapes, plus ça coûte cher, et plus la cohérence entre chacune est difficile à assurer. Au-delà de trois étapes, atteindre le niveau BBC est même quasi impossible. »

Tous BBC en 2050, mission impossible ?

Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère (groupe Écologiste – Solidarité et Territoires)

« En 2022, seulement 8 milliards d’euros ont été fléchés en dépenses et en prêts vers la rénovation énergétique. Il faut les comparer avec les 63 milliards d’euros qu’ont coûtés à l’État les boucliers instaurés pour contrer l’envolée des prix du gaz et de l’électricité entre 2021 et 2023… C’est autant d’argent public que l’on devra remettre sur la table à la prochaine crise énergétique tant que nous n’aurons pas diminué drastiquement les consommations d’énergie de nos logements. Et c’est sur le parc existant que ça se joue, sachant que 85 % des habitats de 2050 sont déjà construits. Fiabiliser le diagnostic de performance énergétique (DPE), systématiquement aider davantage les rénovations d’ampleur, porter l’écoprêt à taux zéro à 70 000 €, favoriser l’émergence de filières françaises de matériaux… notre commission d’enquête sénatoriale [sur la rénovation énergétique des logements, en 2023] proposait 23 recommandations pour accélérer sur ce sujet. Mais les 174 personnes que nous avons auditionnées nous ont aussi presque toutes alertés sur les changements permanents de politiques en la matière, avec des aides et des conditions pour les toucher qui évoluent tous les ans, et parfois plus vite encore. Cette instabilité engendre de la confusion et du découragement. Pour les particuliers comme pour les professionnels du bâtiment. »

Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

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