Compléments alimentaires, médicaments, yaourts ou margarines anticholestérol… L’obsession pour l’excès de cholestérol n’a pas lieu d’être. Dans les maladies cardiovasculaires, d’autres facteurs, dont l’âge, pèsent lourd. Prendre une statine ne fait que réduire, un peu, le risque.
Rares sont les personnes qui, la quarantaine passée, vivent encore dans l’insouciance d’une méconnaissance totale de leur taux de cholestérol. Sans consignes officielles, en France, sur les critères qui doivent décider les médecins à faire doser les lipides du sang, le bilan s’impose naturellement comme un rite de passage, à 40 ans pour les hommes et 50 ans pour les femmes. Souvent même, des analyses ont déjà été réalisées avant, pour des raisons plus ou moins bonnes : la prescription d’une pilule œstroprogestative chez une jeune femme, le montage d’un dossier de crédit immobilier, un taux élevé chez un parent proche, quand ce n’est pas l’infarctus, à 60 ans, de l’oncle d’un cousin éloigné. En 2015, les trois-quarts de l’échantillon d’une enquête de Santé publique France connaissaient leur cholestérolémie. Les plus âgés, mais pas seulement : près de la moitié des 18-34 ans avaient déjà dû faire réaliser un dosage.
45 millions Nombre de boîtes de statines prises en charge par l’Assurance maladie en 2021
28% Part des 65-74 ans sous traitement anticholestérol en 2015 (dernière statistique SPF disponible)
Physiologiquement indispensable
Depuis les années 1980, le cholestérol est l’ennemi public numéro 1, et son ombre plane sur notre quotidien. L’opinion a intégré qu’il fallait l’avoir à l’œil, et le maintenir à un niveau le plus bas possible. Il représente pourtant et avant tout un allié précieux… « C’est une vieille histoire, plaisante Philippe Legrand, directeur du laboratoire de biochimie et de nutrition humaine à l’Agrocampus-Inra de Rennes (35). Comme le glucose, il est à la fois dangereux et indispensable. Sans cholestérol, pas de vie cellulaire, pas de reproduction et pas de sels biliaires pour digérer les lipides. » Bonne nouvelle, notre organisme sait le fabriquer, grâce au foie. Notre alimentation en apporte aussi. Revers de la médaille : quand s’est imposée l’idée que le cholestérol pouvait nuire à la santé cardiovasculaire, son contrôle est devenu une obsession. Les taux sanguins admis n’ont cessé de baisser, ce qui a abouti à des diktats tous azimuts. Finis les œufs, la charcuterie, le beurre, le fromage ! Toutes les matières grasses d’origine animale ont été clouées au pilori, et on a déroulé le tapis rouge à l’huile d’olive et aux margarines ultratransformées.
« Il est maintenant bien établi, hors maladie héréditaire, que la part alimentaire impliquée dans la cholestérolémie est modeste », explique cependant Philippe Legrand. De là à affirmer que le contenu de nos assiettes n’a pas d’impact sur le cholestérol, il y a un cap à ne pas franchir trop vite. L’alimentation joue, mais d’abord par un mécanisme de stimulation : « Un excès de sucre, par exemple, peut augmenter la synthèse du cholestérol dans le foie et sa sortie dans le sang. C’est un marqueur d’énergie en trop, consommée sous forme de glucides, de graisses ou d’alcool. » Paradoxalement, éliminer toute source alimentaire de cholestérol peut avoir le même effet. « Pour rendre un rat hypercholestérolémique, ajoute Philippe Legrand, il suffit de le priver, ce qui provoque un sursaut de production interne. Le mécanisme n’est pas aussi puissant chez les humains, mais il peut également exister. »
C’est entendu, notre façon de manger n’a que peu à voir avec notre cholestérol sanguin. Faut-il pour autant en faire abstraction, sous peine de laisser nos artères s’encrasser jusqu’à l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral (AVC) ? C’est là qu’interviennent les médicaments anticholestérol, dits « hypolipémiants », au cœur d’une féroce polémique scientifique et médicale. L’intention est louable : il s’agit de limiter le risque cardiovasculaire que le taux de cholestérol est supposé refléter. Sauf que ce dernier n’est pas seul en cause, et que s’arrêter aux chiffres inscrits sur un compte rendu d’analyses médicales – surtout quand ces derniers sont accompagnés d’une fourchette indiquant si le taux se situe, ou non, dans les clous – n’est pas la meilleure option. « En dehors d’une hypercholestérolémie familiale rare, il faut pour la grande majorité d’entre nous le mettre en regard d’autres facteurs de risque comme la tension artérielle, le tabagisme, l’activité physique, un éventuel diabète, l’âge et l’équilibre alimentaire, pour évaluer un risque global », indique le Pr Rémy Boussageon, médecin généraliste et membre du conseil scientifique du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), coauteur d’une synthèse sur le cholestérol en prévention des accidents cardiovasculaires. Avoir déjà eu un infarctus ou un AVC constitue une situation à part : le risque, en l’occurrence de récidive, atteint d’emblée un niveau élevé.
Prendre en compte sa situation personnelle
En prévention primaire, afin d’empêcher un premier événement, le dosage du cholestérol n’est qu’un élément du calcul de probabilité, à 10 ans, d’accident cardiovasculaire. Dès lors, si un traitement doit être mis en place, ce n’est pas dans le but de le faire baisser à tout prix, mais pour diminuer, autant que possible, le risque d’infarctus et d’AVC. Partant, tous les produits qui se contentent de tirer la cholestérolémie vers le bas – ou qui prétendent le faire (lire notre revue détaillée dans les encadrés suivants) –, sans avoir montré le moindre effet clinique sur la maladie elle-même, n’ont pas leur place dans nos armoires à pharmacie. Ils rassurent faussement, en occultant les autres leviers d’action. Pas simple à entendre quand, depuis des décennies, des médecins pointent le cholestérol dès que l’occasion se présente. Et c’est d’autant plus difficile à accepter que la seule classe de médicaments qui a démontré son efficacité (à partir d’études cliniques solides) sur le risque de maladie cardiovasculaire est celle des statines. Qui, précisément, réduisent le cholestérol ! Pour déterminer s’il convient d’en ingérer, mieux vaut faire abstraction de leurs propriétés hypolipémiantes, et examiner sa situation personnelle. En gardant en tête que les données sont parcellaires, car issues d’études réalisées sur des hommes généralement à haut risque. « Il n’y en a aucune sur les femmes, par exemple », explique le Pr Fabrice Bonnet, endocrinologue. « La prise d’une statine se discute. Face à un risque peu élevé, et parfois même à un risque élevé, la décision de ne pas y recourir se défend », déclare Rémy Boussageon. Façon de souligner que si une statine atténue le danger, elle ne remet pas les compteurs à zéro, loin de là.
« Un diabétique fumeur de 50 ans a, statistiquement, 20 % de chances de faire un infarctus ou un AVC dans les 10 ans. S’il prend une statine, le risque reflue, mais il reste tout de même à 16 %. Le même patient à 40 ans voit son risque ramené de 10 à 7 % avec une statine », détaille Rémy Boussageon. Pour le diminuer encore, on doit jouer sur d’autres variables. Par exemple, arrêter de fumer, s’activer davantage, manger plus équilibré, gérer son stress. Sachant que l’âge, levier sur lequel il est impossible d’agir, demeure le principal facteur de risque.
Aucune cible à atteindre
Les effets secondaires des statines comptent également dans l’équation. Cela vaut-il le coup de s’exposer à des douleurs musculaires (proportionnelles au dosage) et, à terme, au développement d’un diabète, pour un bénéfice qui ne s’avère souvent que marginal ? La question mérite d’être posée, et discutée sans tabou avec le médecin. Et si une statine est prescrite, s’acharner à atteindre un taux de cholestérol idéal n’est pas nécessaire. Du moins en prévention primaire. Aucune donnée n’appuie, pour l’heure, l’intuition que plus le chiffre est bas, plus le risque d’accident cardiovasculaire s’atténue. Imaginer qu’il baissera plus encore en augmentant le traitement n’est que spéculation. Il n’est donc pas nécessaire de prescrire une prise de sang tous les six mois pour vérifier le taux. En prévention secondaire, un objectif est souvent fixé, mais il fait débat.
Compléments alimentaires – Peu de certitudes
Olivier, coriandre, artichaut, ail
Anecdotiques
Cholestegem, Liposterol fort, Cardiol
La coriandre a fait l’objet d’un essai randomisé isolé sur des petits groupes de patients ayant des taux de triglycérides et de cholestérol élevés, en association et en comparaison avec de l’ail et un placebo. L’effet relevé ne portait pas sur le cholestérol, sans compter que l’impact sur les maladies cardiovasculaires n’était pas étudié. Nous n’avons trouvé aucune trace d’étude évaluant les jeunes pousses d’olivier mis en avant dans Cholestegem. L’Agence européenne du médicament (EMA) cite bien l’action des extraits de feuille d’olivier sur le cholestérol de rats suralimentés, mais on est loin d’une démonstration sur les infarctus ou les AVC ! Cardiol mêle l’ail, l’olivier et l’artichaut, sans élément probant à l’appui de la maîtrise du cholestérol revendiquée. En salade, c’est sûrement très bon…
Ail noir
Sans efficacité avérée
ArkoPharma cholestérol, Ail noir Granions, Ail noir bio superdiet
Fermenté, l’ail cru donne de l’ail noir « vieilli », paré de multiples vertus parmi lesquelles une action bénéfique sur la sphère cardiovasculaire et sur les lipides du sang. Raison pour laquelle plusieurs compléments à base d’ail noir affichent sur leur emballage une indication dans le cholestérol. Au-delà du simple argument que l’ail, très présent dans la cuisine méditerranéenne traditionnelle, pourrait en expliquer les bienfaits pour la santé, quelques études ont tenté de vérifier scientifiquement la pertinence de cette allégation. L’une d’elles, parue en 2022, réalisée sur un échantillon de patients hyperlipidémiques modérés, n’a mis en évidence qu’une faible baisse du cholestérol total après six semaines de traitement – aucune lors d’une évaluation intermédiaire à trois semaines. La variation du taux de LDL-cholestérol, indicateur que les médecins prennent le plus souvent en compte dans leur estimation du risque cardiovasculaire, n’était pas très différente entre le groupe sous complément et celui sous placebo. Bref, rien de bien concluant.
Une autre étude, plus récente et menée sur une population comparable à celle de la France, s’est attelée à analyser l’effet d’un extrait d’ail fermenté, à raison de 2,4 g par jour pendant un an. Le critère principal était l’évolution des plaques d’athérome dans les artères partant du cœur (les coronaires) – en épaississant, elles entraînent l’obstruction de ces dernières, ou en se rompant, causent un infarctus du myocarde. Le taux de cholestérol figurait parmi plusieurs critères secondaires. À l’issue du traitement, dans le groupe ayant pris le complément alimentaire, les lésions athéromateuses avaient moins progressé que dans celui qui n’avait eu droit qu’au placebo. Mais le cholestérol n’avait pas bougé. Le bénéfice sur les plaques n’est-il toutefois pas suffisant pour indiquer l’ail noir en prévention d’accidents cardiovasculaires ? En réalité, tout comme l’observation du cholestérol, celle des plaques n’est qu’un indicateur biologique, qui ne prédit pas grand-chose. Le seul résultat qu’il importerait d’apporter pour prouver l’efficacité de l’ail noir fermenté serait une baisse du nombre d’accidents cardiovasculaires ou de la mortalité. Ce qui n’est pas le cas ici.
Stérols végétaux
Trop faiblement dosés
Arterin cholestérol, Ergystérol
C’est établi de longue date, les stérols végétaux font baisser le taux de cholestérol dans le sang en bloquant celui apporté par l’alimentation. L’Europe l’a reconnu et autorise les fabricants à arborer une allégation sur l’emballage des compléments (et des aliments enrichis). Mais ça s’arrête là. Le doute demeure sur la diminution des accidents cardiovasculaires, qui reste l’objectif… De plus, l’efficacité est constatée à partir d’une dose que sont loin d’atteindre les deux produits que nous avons trouvés dans les parapharmacies. L’un contient 120 mg de stérols par comprimé, le second, un peu moins de 150 mg. Or il en faut entre 1,5 et 3 g par jour, au total, pour espérer un résultat. Même en tenant compte des stérols que nous ingérons par ailleurs naturellement via notre alimentation, l’apport complémentaire doit être de 1 à 2 g par jour. À moins de s’en faire une petite collation de 10 comprimés, le compte n’y est pas. Attention, sur les personnes traitées par ézétimibe, le mécanisme d’action est le même qu’ici. Il y a un risque de doublon. Les stérols sont aussi soupçonnés d’amplifier l’effet des statines : si vous êtes sous traitement, mieux vaut avertir votre médecin de votre intention de vous complémenter, et prendre son avis en compte.
Oméga 3
Une supplémentation inutile
On les trouve sous forme de médicament (Omacor), de compléments alimentaires ou d’aliments enrichis. Même si l’Europe a autorisé les fabricants de compléments alimentaires à affirmer que les oméga 3 contribuent au « fonctionnement normal du cœur », les preuves formelles manquent… Une méta-analyse a démenti un effet sur la santé cardiovasculaire. Mais une autre étude, centrée sur des personnes à haut risque, a montré un petit effet d’une supplémentation quotidienne à dose élevée. En France, les autorités sanitaires ont tranché en déremboursant le seul médicament sur le marché, ses prétentions à prévenir la rechute dans l’infarctus n’étant pas assez étayées. Aux dernières nouvelles, il a même des effets indésirables sur le cœur ! Une alimentation équilibrée, avec des huiles variées (colza, lin, noix) et des poissons gras (truite, sardine…) une à deux fois par semaine, suffit à assurer nos besoins en oméga 3.
Médicaments – Il ne reste pas grand-chose à sauver
Les statines
Leur action reste limitée
Pravastatine, simvastatine, fluvastatine, rosuvastatine et atorvastatine
Depuis la sortie, en 2013, du livre du Pr Philippe Even, La vérité sur le cholestérol, et la diffusion sur Arte, en 2016, du documentaire Cholestérol, le grand bluff, la méfiance vis-à-vis des statines a grandi dans l’opinion. Sans empêcher la progression des prescriptions… Soyons clairs : que cette classe de médicaments fasse baisser le taux de cholestérol dans le sang, c’est indéniable. Les statines fonctionnent plutôt bien. Faut-il pour autant les prescrire à tout individu s’écartant des standards ? Certainement pas. L’efficacité des statines sur le cholestérol n’a d’intérêt que si elle se traduit par une baisse des accidents cardiovasculaires, en particulier les infarctus du myocarde, et par un recul de la mortalité. Sur cette base, les études révélaient jusqu’alors deux situations.
- La première était celle des personnes ayant déjà eu un AVC ou une alerte coronarienne, y compris un infarctus. Pour éviter une récidive ou la survenue d’un autre accident cardiovasculaire, c’est-à-dire en prévention secondaire, une statine pouvait aider, même modestement.
- La deuxième concernait les personnes sans antécédents. Le bénéfice, variable mais toujours faible, était discutable, surtout pour les femmes.
Une méta-analyse de 2022 a mis tout le monde d’accord en concluant à une réduction des risques de décès ou d’événement cardiovasculaire minime sous statine. En pratique, l’effet augmente avec le risque individuel, tout en restant limité. La décision de se traiter dépend donc des autres facteurs de risque : hypercholestérolémie familiale (pour laquelle l’intérêt d’une statine est indiscuté), âge, tension, tabagisme, etc. Finalement, vu le faible bénéfice, on court d’abord le risque, avec les statines, de se traiter pour rien. Tout en s’exposant (essentiellement à doses élevées) à des douleurs musculaires et, à long terme, à du diabète. Des AVC hémorragiques sont aussi possibles, notamment quand le taux de cholestérol chute. La combinaison statine/ézétimibe est à réserver aux personnes à risque élevé, en surveillant les effets indésirables qui peuvent s’additionner.
Les fibrates
Aucun intérêt prouvé
Ciprofibrate (Lipanor), fénofibrate (Fégénor, Lipanthyl), bézafibrate (Béfizal), gemfibrozil (Lipur)
Après les statines, les fibrates constituent la deuxième classe d’hypolipémiants la plus prescrite en France. Mais seul le gemfibrozil diminue, faiblement, le risque d’infarctus, sans action sur la mortalité totale. Les fibrates, qui agissent surtout sur les triglycérides et peu sur le LDL-cholestérol, sont parfois prescrites comme hypocholestérolémiants en cas d’intolérance aux statines. Avec des résultats insignifiants, et des effets indésirables sur les muscles et la fonction hépatique. Une fibrate peut être ajoutée à une statine pour renforcer son action, mais les données ne convainquent pas. Seule certitude : un cumul des effets indésirables graves ! Les fibrates interagissent aussi avec les anticoagulants oraux, souvent donnés aux malades cardiovasculaires pour éviter les thromboses. Leur usage s’avère donc délicat et sans bénéfice net, du moins pour le cœur.
Ézétimibe
Des effets indésirables
Ezétrole et génériques, Inegy (+ simvastatine) et génériques
L’ézétimibe est une molécule qui inhibe l’absorption intestinale du cholestérol alimentaire et biliaire (ainsi que des phytostérols). Prescrite seule, elle limite légèrement les infarctus du myocarde, mais au prix d’effets indésirables possibles sur les muscles, et d’un soupçon de risque plus élevé de cancer. Elle ne modifie pas la mortalité totale. Chez les personnes ayant déjà eu un infarctus, l’ézétimibe peut être associé à une statine, car une diminution du nombre de récidive a été prouvée par rapport à la statine seule. Mais les effets indésirables – une souffrance musculaire – se cumulent, jusqu’à la myopathie parfois. Enfin, la mortalité n’est pas modifiée. La Haute autorité de santé lui a donc octroyé un ASMR 5, signifiant qu’il n’apporte rien de mieux que l’existant.
Colestyramine
Le négatif l’emporte
Questran
Un petit impact sur les infarctus existe – et encore, chez certaines personnes seulement –, mais pas une baisse de la mortalité totale ou par accident cardiovasculaire. Mieux vaut donc prendre une statine si un médicament est vraiment nécessaire – c’est-à-dire en cas de risque élevé et de traitement
au long cours bien accepté. La colestyramine peut entraîner des constipations sévères, et elle diminue l’assimilation des vitamines A, D, E et K. L’association avec une statine – dont le bénéfice comparé à celui d’une statine seule n’est pas étayé – nécessite l’espacement des prises.
Levure de riz rouge
C’est une statine !
Méfaits des statines sur les muscles et le foie et rumeur d’un risque accru de cancers sous statines ont contribué à l’engouement pour la levure de riz rouge. Cette moisissure, obtenue par fermentation, a un effet hypolipémiant avéré : elle abaisse le cholestérol. Et pour cause, derrière une façade naturelle se cache, ni plus ni moins, une… statine. La monacoline K, l’agent actif de la levure de riz rouge, est aussi connue sous le nom de lovastatine, commercialisée comme médicament hors de nos frontières. À la dose actuellement autorisée dans les compléments alimentaires, soit 3 mg maximum de monacolines totales par unité, la levure de riz rouge ne peut toutefois pas prétendre avoir l’impact d’un médicament. Il faudrait avaler au moins trois gélules par jour pour rivaliser !
Les effets indésirables attendus, eux, s’avèrent du même ordre. Des douleurs musculaires sont possibles, même à faibles doses. Une donnée que n’a pas niée l’Union européenne au moment de réglementer la commercialisation de la levure de riz rouge, reconnaissant l’absence de seuil en dessous duquel le risque n’existe pas. Mais elle n’est pas allée jusqu’à en interdire la vente – un pas qu’ont franchi nos voisins suisses. À la place, les fabricants se sont vus imposer la mention, sur l’emballage, d’une posologie maximale quotidienne, et du dosage en monacolines du produit. Un avertissement à destination des personnes déjà sous traitement hypolipémiant, des femmes enceintes ou qui allaitent, des enfants et des plus de 70 ans doit aussi figurer sur le flacon.
C’est mieux que rien, mais incohérent : un produit trop peu dosé pour agir réellement, qui expose néanmoins à un risque identifié, reste sur le marché. De plus, contrairement aux statines vendues sous statut de médicaments, la levure de riz rouge n’est pas soumise aux standards de la fabrication pharmaceutique industrielle. Lors d’analyses menées il y a 10 ans, la présence de deux toxines avait été détectée dans deux compléments à base de levure de riz rouge.
Aliments – Peut-être dangereux
Thé
Juste pour le goût
Hao Ling cholestérol
Présente en magasins bios, sur Internet et en pharmacie, la marque les Thés de la Pagode propose un thé pu-erh « grand cru » du Yunnan qui prétend agir sur le cholestérol. L’emballage n’en dit pas plus sur les effets de ce breuvage, si ce n’est qu’il « aide à maintenir des taux de cholestérol sains ». Il n’y a rien à tirer des rares études disponibles sur l’extrait de thé noir pu-ehr tant elles manquent de sérieux. Sur leur site, les Thés de la Pagode publient des courbes d’augmentation du HDL (le « bon » cholestérol) chez les personnes ayant bu de leur thé, guère convaincantes. On peut raisonnablement supposer que ce thé n’apporte pas de protection contre l’infarctus ou l’AVC. À consommer si on aime, mais pas pour des raisons de santé.
Les margarines
Pas les mêmes promesses
ProActiv Tartine, ProActiv Gourmet, Saint-Hubert demi-sel, Primevère Tartine et Cuisson, Primevère Tartine demi-sel
« Réduit le cholestérol de manière naturelle », « prouvé cliniquement » : les deux margarines à base de stérols que nous avons trouvées en rayons – et dont la distinction entre deux versions, Gourmet et Tartine, nous a laissés perplexes – ne sont pas avares d’arguments. De fait, les stérols végétaux, qu’ils soient ajoutés à des margarines ou à des yaourts, font réellement baisser le taux de cholestérol dans le sang. Il faut tout de même être généreux et en mettre de bonnes couches pour atteindre les 30 g recommandés par le fabricant et avoir de 1,5 à 3 g de stérols par jour ! Reste à savoir si, cliniquement justement, il y a un bénéfice sur les infarctus ou les AVC. Et là, c’est le mystère complet. Les stérols pourraient même avoir un effet inverse à celui recherché, à savoir un risque accru d’accidents cardiovasculaires… Un surcroît d’AVC et d’infarctus a, de fait, été observé chez les personnes affichant un taux élevé de phytostérols dans le sang.
Attention à ne pas se tromper de margarine. Certaines ne promettent pas de supplémentation en stérols, mais en oméga 3 (Saint-Hubert), ou en oméga 3, 6 et 9 (Primevère). Soit des acides gras insaturés, réputés meilleurs que les autres pour la santé. D’ailleurs, d’un côté, il est question d’aider au maintien d’une cholestérolémie normale et, de l’autre, de participer au bon fonctionnement cardiovasculaire, rien de moins ! Autant d’allégations qui laissent croire qu’on se portera nécessairement mieux en préférant ces produits au beurre ou à des purées d’oléagineux pour accompagner notre confiture… En réalité, les bénéfices des oméga 3 sur la santé cardiovasculaire font débat et ils n’auraient d’intérêt qu’à fortes doses, pour limiter les récidives chez les personnes à haut risque. Le seul médicament disponible a été déremboursé. Notons deux produits s’affichant demi-sel : un comble quand on connaît le rôle du sel dans l’élévation de la tension artérielle, facteur de risque certain d’accident cardiovasculaire !
Les yaourts
Un soupçon de risque
Danacol nature, Danacol à boire
Une efficacité des phytostérols sur le cholestérol est reconnue. La baisse attendue est de l’ordre de 7 à 10 % en deux à trois semaines. Toutefois, la réglementation n’autorise pas le fabricant à vanter un effet préventif sur les maladies cardiovasculaires. Et pour cause : il n’y en a pas. Ce n’est pas un détail, puisque l’enjeu réside dans cette réduction du risque. Les industriels ont trouvé la parade en mentionnant un lien entre taux de cholestérol élevé et maladie coronarienne, une indication tolérée. La déduction se fait toute seule : avec ces yaourts, on préserve sa santé.
Dans les Danacol, les phytostérols sont en quantité suffisante pour avoir un effet réel : un total de 1,6 g pour deux pots est annoncé. Encore faut-il en manger chaque jour. Et être conscient des risques à ingérer quotidiennement des produits enrichis en stérols… Les autorités sanitaires conseillent de ne pas lésiner sur les fruits et légumes afin de compenser la possible perte en bêtacarotène liée aux stérols. Il convient aussi de veiller aux éventuelles interactions avec d’autres traitements du cholestérol, comme les statines et l’ézétimibe. Enfin, le doute n’est toujours pas levé sur l’hypothèse d’un risque cardiovasculaire accru. Des études ont montré un lien entre taux sanguin élevé de phytostérols et crises cardiaques ou AVC. Autant de raisons de rayer ces yaourts du menu.
Très peu de cholestérol, est-ce forcément bon pour la santé ?
Les individus ayant connu un accident cardiovasculaire se voient le plus souvent assigner un objectif de cholestérol de 0,7, voire 0,5 g/l dans le sang. Conséquences, des doses maximales de médicaments prescrits (parfois même en combinaison, avec augmentation proportionnelle du risque d’effets indésirables) et une contrainte forte sur l’équilibre alimentaire… le tout pour une qualité de vie globale amoindrie. En réalité, il n’est pas évident qu’il faille aller si loin dans le contrôle du taux de cholestérol. Même en prévention secondaire, pour éviter la récidive chez les patients à hauts risques cardiovasculaires, la notion de « cible » reste discutée. Et, si elle est maintenue, un taux autour de 0,9 ou 1 g/litre paraît suffisant. Une étude a même mis en évidence un lien entre des taux de cholestérol inférieurs à 0,7 g/l et un surcroît d’AVC hémorragiques !
Anne-Sophie Stamane