Depuis octobre 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) recommande de ne pas utiliser les médicaments contre le rhume contenant de la pseudoéphédrine. Mais trop de pharmaciens continuent de les vendre sans alerter sur les dangers auxquels ils exposent ni même poser les questions de santé nécessaires au préalable. C’est ce que montre notre enquête en pharmacie.
« Bonjour… De l’Actifed Rhume Jour & Nuit ? Oui, tenez, 6,90 €, s’il vous plaît… Merci, au revoir ! » Trop souvent, le conseil censé être délivré par le pharmacien se résume à un échange commercial lapidaire. Les patients sont pourtant en droit d’attendre un peu mieux au sujet de médicaments contre le rhume dont l’usage est officiellement déconseillé par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Sur les 40 pharmacies que nous avons testées selon un protocole « client mystère », 1 seule s’est fait l’écho de cette recommandation sanitaire et n’a pas vendu le produit. 37 ont délivré le médicament soit en omettant de donner cette information, soit sans poser les questions préalables et donner les mises en garde de rigueur. Et 2 ont simplement indiqué ne pas en avoir en stock, dont l’une a précisé en raison du « scandale récent ».
Des effets indésirables graves pour un médicament qui ne soigne pas
Depuis plusieurs années en effet, les charges ne cessent de s’accumuler contre ces traitements en vente libre à base de pseudoéphédrine, un vasoconstricteur utilisé pour décongestionner le nez, vendu sous les noms de Actifed Rhume, Dolirhume Paracétamol et Pseudoéphédrine, Humex Rhume, etc. Leur usage expose à des effets indésirables tels que de l’hypertension, des infarctus, des AVC, des troubles psychiatriques (anxiété, hallucination, insomnie…), des réactions cutanées très sévères, etc. Des accidents rares mais d’une gravité excessive pour un médicament qui ne soigne pas le rhume mais allège seulement un peu de ses symptômes.
Au vu de ce caractère non indispensable et de l’existence d’une alternative efficace pour se déboucher le nez (le lavage de nez avec des solutions d’eau salée en irrigation ou en spray), l’ANSM a tenté d’en restreindre l’usage au fil du temps. En 2017, elle interdit la publicité pour ces médicaments. Le volume des ventes a baissé en conséquence mais la persistance des effets a conduit l’agence à éditer en 2020 des fiches d’information : l’une pour guider les pharmaciens dans la délivrance de ces médicaments (questions à poser, avertissements à donner et information sur le caractère secondaire de ces médicaments) et l’autre pour informer les patients du peu d’intérêt de ces médicaments.
Puis, la mise en évidence de nouveaux effets indésirables graves au niveau du cerveau, tels que le syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible (SEPR), a finalement conduit l’ANSM à déconseiller tout bonnement ces médicaments. En octobre 2023, elle diffusait donc le message suivant : « En cas de rhume, évitez les médicaments vasoconstricteurs par voie orale ! » Une position partagée par les autres acteurs du système de santé puisque le Collège de la médecine générale, le Conseil national professionnel d’ORL, ainsi que l’Ordre national des pharmaciens et les syndicats de pharmaciens d’officine (Union de syndicats de pharmaciens d’officine et Fédération des syndicats pharmaceutiques de France) se sont associés à cette recommandation de ne pas utiliser ces médicaments contre le rhume.
Client mystère
Pour s’assurer que ces recommandations étaient bien appliquées, Que Choisir a visité 40 pharmacies en Île-de-France entre le 15 et le 29 février 2024. Le protocole était simple : se présenter comme ayant un rhume, avec un masque, et demander une boîte d’Actifed Rhume Jour & Nuit. La quasi-totalité des pharmaciens ont délivré la boîte ou un équivalent sans évoquer la moindre réserve ou le moindre effet indésirable pouvant survenir : seules 4 pharmacies ont pointé un risque d’AVC.
Plus grave encore : dans 14 des 40 pharmacies visitées, absolument aucune question n’a été posée pour s’assurer que l’état de santé du client permettait la délivrance du médicament. La fiche « d’aide à dispensation » de l’Agence du médicament liste pourtant plus de 10 situations telles qu’hypertension, antécédents d’AVC, antécédent de convulsions, risque de glaucome, troubles urétro-prostatique ou encore allaitement ou grossesse qui s’opposent à la prise de ce type de médicament. En omettant cette vérification, plus de 1 pharmacien sur 3 n’a pas fait son travail et mis potentiellement en danger les usagers de ces médicaments.
Ce test mené dans 40 pharmacies ne se prétend pas représentatif des 20 000 officines réparties sur le territoire français. Pour autant, le caractère tranché des résultats et l’absence répétée de conseil remettent sérieusement en question le service rendu par ces professionnels qui revendiquent par ailleurs un élargissement de leurs missions de santé. À la lumière de ces résultats, « il faudrait sans doute que nous renforcions la communication », commente Bruno Maleine, président du Conseil central des pharmaciens titulaires d’officine de l’Ordre des pharmaciens. L’Agence du médicament nous informe, de son côté, qu’elle diffusera directement l’information auprès des professionnels concernés. Une communication directe exceptionnelle. Bruno Maleine souligne que « la situation n’est pas forcément confortable pour les pharmaciens car ces médicaments ne sont pas interdits ». Le plus simple serait en effet leur interdiction. Une mesure que demande officiellement l’UFC-Que Choisir.
Les pharmaciens s’en lavent-ils les mains ?
Liste de médicaments concernés
- Actifed Rhume
- Actifed Rhume Jour & Nuit
- Dolirhume Paracétamol et Pseudoéphédrine
- Dolirhumepro Paracétamol Pseudoéphédrine et Doxylamine
- Humex Rhume
- Nurofen Rhume
- Rhinadvil Rhume Ibuprofène/Pseudoéphédrine
- Rhinadvilcaps Rhume Ibuprofène/Pseudoéphédrine
Isabelle Bourcier
Observatoire de la consommation
Perrine Vennetier
Rédactrice en chef