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E-lettre rouge – Une mort bien programmée

Pas d’investissement, pas de publicité… La Poste semble tout faire pour tuer dans l’œuf sa nouvelle solution d’envoi prioritaire.

C’était il y a un an, La Poste arrêtait la commercialisation du timbre rouge, qui permettait de faire parvenir en un jour une lettre n’importe où en France métropolitaine. À en croire les dirigeants de l’entreprise publique, cette décision était inéluctable. Le recours au courrier prioritaire avait tellement baissé ces dernières années que les moyens mis en œuvre pour l’assurer étaient devenus disproportionnés. Toutefois, pour ne pas laisser sur le carreau les particuliers voulant effectuer un envoi en urgence, un nouveau service était lancé en parallèle, la e-lettre rouge. Le principe : plutôt que de faire parcourir des centaines de kilomètres à un courrier, La Poste le transfère sous forme numérique jusqu’à un centre proche du point d’arrivée. Là, il est imprimé et mis sous pli avant d’être déposé par le facteur. Au moment de son lancement, en janvier 2023, nous avions émis des doutes sur ce nouveau dispositif. Son coût plus élevé (1,49 €, contre 1,43 € pour le timbre rouge), la nécessité de disposer d’un ordinateur et d’une connexion à Internet pour en bénéficier, l’impossibilité d’envoyer des documents originaux ou encore les risques pour la confidentialité des correspondances nous avaient fait tiquer. Surtout, le test mené par l’Observatoire de la consommation de l’UFC-Que Choisir avait montré que seuls les trois quarts des courriers envoyés de cette façon arrivaient dans les temps. À l’époque, La Poste avait cherché à nous rassurer en nous expliquant que le service était en cours de déploiement, et promettait de remédier au problème bientôt…

Aucune amélioration à noter

Sauf que, un an plus tard, rien n’a changé. Les délais de distribution prioritaire ne sont toujours pas respectés pour l’ensemble des e-lettres rouge (lire l’encadré). Cette situation s’explique notamment par le nombre inexorablement faible de centres dédiés. Alors que La Poste avait promis d’en ouvrir sur tout le territoire, on en compte officiellement 12, soit juste deux de plus qu’il y a un an. Conséquence, les impressions sont centralisées dans des locaux éloignés du destinataire. Le temps que le courrier, une fois édité, soit acheminé vers le bon centre de tri, le facteur est déjà en route pour sa tournée ; il faut donc attendre jusqu’au lendemain pour qu’il soit délivré. L’entreprise justifie son retard de déploiement par le faible nombre de e-lettres rouges envoyées – seulement 7 000 par jour, d’après les chiffres officiels (et même moins selon les syndicats) –, bien loin des objectifs attendus, au regard du coût d’aménagement d’un centre. Il faut en effet prévoir une salle sécurisée, du matériel d’impression et de mise sous pli, ainsi que la présence d’un agent s’assurant que tout fonctionne bien.

La Poste promet d’ouvrir d’autres salles dès que les volumes atteindront un niveau suffisant… mais elle ne fait rien pour valoriser son nouveau service ! Déjà, il est compliqué au possible. Entre le renseignement des coordonnées de l’expéditeur et du destinataire, la mise en page, le paiement par carte bancaire, le choix des options ou encore la création d’un compte, il faut passer pas moins de 12 étapes avant expédition. C’est long. Ensuite, et surtout, La Poste semble prendre un soin particulier à cacher l’existence de cette e-lettre rouge. Que ce soit dans ses publicités, ses brochures ou sur son site Internet, elle n’est mise en avant sur aucun support. Et, dans les 7 000 bureaux que compte le pays, ce n’est pas mieux ! L’entreprise assure pourtant avoir équipé et formé ses 20 000 agents de manière qu’ils puissent présenter le dispositif aux clients et aider ceux qui le souhaitent à s’en servir.

Un service invisible

Pour nous faire notre propre idée, nous avons visité, fin janvier, des bureaux de poste situés à Paris, en proche banlieue et en province. Sur place, nous nous sommes fait passer pour un client souhaitant que son envoi arrive le lendemain chez son destinataire. À chaque fois, la réponse a été la même : « Le courrier prioritaire n’existe plus, mais vous pouvez utiliser la Lettre Services Plus, avec une distribution à J + 2. Ou un Chronopost à 30 €. » Nous avons dû évoquer la e-lettre rouge pour que les agents se reprennent – « Ah oui, mais il faut aller sur Internet » –, sans pour autant s’occuper de notre courrier ! D’ailleurs, ce service n’apparaît même pas dans les grilles tarifaires affichées dans les bureaux. Quant aux bornes de nouvelle génération, censées servir au scan et à l’envoi de documents, et que La Poste avait promis d’installer partout avant mars 2023, nous n’en avons vu aucune. On voudrait condamner la e-lettre rouge que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

La fin du J + 1

Lorsqu’elle a eu à donner son avis sur ce dispositif, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) n’avait rien trouvé à y redire. Elle s’était limitée à « prendre acte » de la suppression du timbre rouge et du lancement de la e-lettre rouge. Tout juste avait-elle souligné l’importance, pour « les utilisateurs ayant besoin d’un accompagnement ou ne disposant pas d’un accès Internet », de bénéficier d’une « solution pour les envois urgents », insisté sur « la nécessité de former les chargés de clientèle » et regretté « l’absence d’objectifs de délais de distribution ». De toute évidence, La Poste n’a eu cure de ces simples observations. Il faut dire que le courrier en J + 1 est une charge dont elle aimerait bien se passer. La fin du timbre rouge lui aurait déjà fait baisser de façon substantielle ses émissions de CO2 et ses frais d’exploitation, en lui permettant de supprimer, par jour, 3 liaisons aériennes, et 9 acheminements routiers sur 300. La e-lettre rouge, elle, coûte cher pour une rentabilité aléatoire, sans compter que sa mise en place semble impliquer le lancement de nouvelles liaisons routières. Ce serait trop pour l’entreprise publique, qui rêve de faire disparaître une bonne fois pour toutes le J + 1. Y parviendra-t-elle ?

Enquête – Toujours autant de retards

Un an après notre premier test sur la e-lettre rouge, nous avons renouvelé l’expérience. Le 22 janvier 2024, nous avons envoyé des courriers depuis le site Laposte.fr vers 55 destinations en France. Résultat, seuls 71 % d’entre eux sont arrivés le lendemain. Un chiffre inférieur à celui de 2023 (75 %) ! Quelle que soit la zone de destination ou l’heure d’envoi, l’expéditeur a 3 chances sur 10 que sa e-lettre rouge n’arrive pas à temps. La Poste précise que ses délais ne sont qu’« indicatifs », et qu’aucune réclamation ne sera acceptée en cas de retard. À cela s’ajoutent une procédure toujours aussi compliquée (12 étapes nécessaires pour envoyer un courrier…) et l’obligation persistante de créer un compte et de régler par carte bancaire.

  •  71 %  des e-lettres rouges sont arrivées le lendemain
  •  12 étapes  sont nécessaires pour expédier un tel courrier prioritaire
  •  29 %  des distributions étaient hors délai (25 % il y a un an)

C. B. avec Noé Bauduin

Cyril Brosset

Cyril Brosset

Chef de rubrique Web

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