Comment procéder à des hausses de prix en catimini ? En substituant une gamme de produit par une autre, dans un paquet plus petit, mais guère moins cher. Une stratégie pour brouiller les tarifs qu’illustrent parfaitement Friskies et Chocapic.
Au rayon des céréales du petit déjeuner, deux boîtes de Chocapic (Nestlé), côte à côte, attirent l’œil. L’une affiche « Nouveau format 375 g » sur un fond bleu vif – elle est apparue fin mars dans les rayons des grandes surfaces. Vues de l’allée du supermarché, les deux boîtes semblent de mêmes dimensions. Vu de haut en revanche, le nouveau format est plus étroit. Les poids indiqués donnent la mesure de la baisse : on passe de 430 g à 375 g, une perte de presque 13 %. Mais si la boîte rétrécit, le prix au kilo, lui, prend de l’embonpoint ! Entre le paquet de 430 g et celui de 375 g, la hausse est de 37 %, d’après nos relevés de prix en grandes surfaces. Davantage que l’inflation de 35 % déjà enregistrée par le paquet de Chocapic entre avril 2022 et avril 2024 ! Idem pour le paquet de 750 g et le nouveau format de 645 g, soit un allègement de 14 % et une hausse de tarif de 20 %. Les céréales Lion, un autre produit Nestlé, font aussi fort : leur conditionnement se réduit de 750 g à 675 g (soit -10 %), tandis que le prix au kilo grimpe de 29 %, après avoir subi une inflation de 43 % en 2 ans !
Interrogé par Que Choisir, Nestlé répond avoir « revu le positionnement » de sa marque Chocapic, « mais également des marques Nesquick, Crunch et Lion avec de nouveaux packagings, de nouveaux grammages et un réajustement du prix ». En revanche, ni la recette ni les ingrédients n’ont changé. L’objectif est strictement de revenir « dans la moyenne des prix du marché ». La baisse de grammage est par conséquent la seule façon d’opérer cette hausse sans trop modifier la valeur faciale du produit.
Un chat, ça coûte cher
Même scénario au rayon des aliments pour animaux. Le paquet de 2 kg de croquettes au poulet pour chatons Friskies (de la marque Purina, propriété de… Nestlé !) cède la place au conditionnement de 1,5 kg ; le porte-monnaie des clients, lui, cède de 26 % à 67 % de plus au kilo selon les enseignes. Contacté, Purina nous confirme un « réajustement prix » de son offre Friskies, là encore sans changement de recette. La marque précise que ces nouveaux formats sont « clairement » indiqués aux consommateurs en magasin sur des stickers, des kakémonos (panneaux d’affichage) et des coupons, ainsi que « sur les sites drives et sur la page Friskies » du site de Purina.
Une stratégie habituelle
Ces pratiques tombent-elles sous le coup de l’arrêté « shrinkflation » (ou réduflation) du 16 août 2024, publié le 4 mai au Journal officiel ? Présenté à l’initiative du ministère de l’Économie, la mesure rendrait « obligatoire l’information des consommateurs » pour des produits « qui ont subi une modification de poids ou de volume à la baisse entraînant une hausse de prix à l’unité de mesure », à partir du 1er juillet. À condition qu’il s’agisse d’un même produit…
Or, dans les cas cités, ces nouveaux emballages affichent de nouveaux codes-barres, même si le consommateur achète la même marchandise. La pratique est légale, courante et ancienne, et pas seulement dans l’alimentaire : des rasoirs qui passent de 2 à 3 lames, des télés plus grandes, des voitures intégrant des normes de sécurité ou la clim de série… ces arguments justifiant la hausse de prix. Ici, pour son Chocapic, Nestlé souligne utiliser « depuis cette année du cacao approvisionné durablement ». Malheureusement, aucun label indépendant ne l’étaye : Nestlé se réfère à son « Plan Cacao » élaboré en interne, une démarche dont Que Choisir estime la fiabilité insuffisante. Seule satisfaction : la recette du nouveau produit n’est pas moins-disante (il n’y a donc pas de « cheapflation », qui consiste à remplacer des ingrédients par d’autres moins qualitatifs, donc moins chers). Quant à Friskies, c’est la fabrication française des produits et un approvisionnement local « lorsque cela est possible » qui sont mis en avant. Un peu court pour faire passer la croquette !
Un seul conseil pour déjouer ces astuces : référez-vous systématiquement au prix au kilo (ou au litre).
Un arrêté pour rien ?
L’arrêté du 16 avril 2024 « relatif à l’information des consommateurs sur le prix des produits dont la quantité a diminué », tardivement publié le 4 mai, stipule que sont concernés les produits emballés « à quantité nominale constante », c’est-à-dire dont la quantité dans l’emballage est la même d’un emballage à l’autre, mais dont le poids ou le volume a baissé et dont le prix au kilo (ou au litre) a augmenté. Cette pratique étant légale (tout fabricant a le droit de vendre un produit plus cher), l’arrêté ne l’interdit pas, mais ne concerne qu’un affichage « sur l’emballage ou sur une étiquette attachée ou placée à proximité de ce produit, de façon visible et lisible ». Par ailleurs, seuls les magasins physiques de plus de 400 m2 sont concernés, ce qui exclut les supérettes de quartier et les drives.
Gageons que les distributeurs ne seront pas tous enclins à pointer du doigt des hausses d’étiquettes, auxquelles eux-mêmes contribuent : leurs marges sont en général calculées par un pourcentage appliqué sur la valeur d’achat du produit ; elles augmentent avec le prix et contribuent donc à la hausse finale affichée aux clients.
Elsa Casalegno
Grégory Caret
Observatoire de la consommation