Un algorithme disponible en ligne, développé par des chercheurs en santé publique, permet de calculer ses propres gains d’espérance de vie, en fonction de son âge, de son sexe et des changements alimentaires que l’on est prêt à faire. À l’en croire, de nombreuses années de vie peuvent être facilement gagnées.
Avec 79,2 années pour les hommes, et 85,3 pour les femmes, les Français ont la chance d’avoir une espérance de vie parmi les plus élevées au monde. Mais il serait facilement possible de faire bien mieux, si l’on en croit la modélisation réalisée par des scientifiques de l’université de Bergen, en Norvège, dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue médicale PLOS Medicine (1).
Les chercheurs ont en effet estimé, sur la base des données scientifiques les plus récentes concernant le lien entre quantité consommée de différents aliments et risque de mortalité, ce que serait un régime alimentaire « optimal » sur le plan de la santé. Et ils sont arrivés à un résultat très éloigné de ce qu’est actuellement l’alimentation des Français.
Par exemple, alors que nous consommons en moyenne moins de 5 grammes de fruits à coque et à peine quelques dizaines de grammes de légumineuses et de céréales complètes chaque jour, les chercheurs ont calculé qu’il faudrait idéalement en manger 25, 200 et 225 grammes.
L’outil de calcul gratuit qu’ils ont mis en place permet d’estimer les gains d’espérance de vie associés au passage du régime français moyen à ce régime « optimal » (2). Cela en fonction de l’âge (les bénéfices étant plus élevés si on change de régime alimentaire précocement) et du sexe (les risques de mourir de différentes maladies n’étant pas les mêmes entre hommes et femmes).
DES BÉNÉFICES MÊME À 60 ANS
Le résultat est saisissant : en adoptant définitivement le régime recommandé par ces chercheurs, un Français de 20 ans prolongerait en moyenne de 13,9 années son espérance de vie, tandis qu’une Française du même âge en gagnerait 10,6. Et même en adoptant tardivement ce régime, les bénéfices resteraient élevés puisque, d’après cet algorithme, un Français de 60 ans gagnerait en moyenne 9,2 années d’espérance de vie, tandis que le bénéfice serait de 8,2 ans pour les sexagénaires françaises.
Si la marge d’erreur de ces estimations n’est pas négligeable, ces ordres de grandeur ont au moins le mérite de mettre en lumière l’importance, pour la santé, d’une alimentation plus saine. Et encore, ces calculs ne tiennent pas compte (et c’est bien dommage) des bénéfices énormes que peut également apporter une diminution de la consommation de sel et d’alcool, soit les deux premiers facteurs alimentaires de mortalité dans le monde.
LÉGUMES SECS, CÉRÉALES COMPLÈTES ET FRUITS À COQUE
D’après cet algorithme, les principales voies alimentaires d’augmentation de l’espérance de vie pour les Français sont, par ordre décroissant :
- La consommation de 225 g/jour de céréales complètes (pain complet, riz complet, pâtes complètes, avoine…), riches en fibres et protéines et qui protègent du cancer et des maladies cardiovasculaires, ainsi que la consommation de seulement 50 g/jour de céréales raffinées (pain blanc, riz blanc…), plus pauvres en fibres et protéines, et qui élèvent plus fortement la glycémie.
- La consommation de 200 g/jour de légumineuses (lentilles, pois, haricots secs…), aux bénéfices similaires à ceux des céréales complètes.
- La consommation de 25 g/jour de fruits à coque (noix, noisettes, amandes…), riches en fibres et en bons acides gras et qui protègent du cancer et des maladies cardiovasculaires.
- La suppression de la charcuterie, riches en « mauvaises » graisses et sel, et dont la consommation augmente le risque de maladies cardiovasculaires et de cancer.
- La suppression de la viande rouge, riche en « mauvaises » graisses et dont la consommation favorise les maladies cardiovasculaires et semble aussi favoriser le cancer (la suppression de viande rouge est cependant associée, dans le régime « optimal » des chercheurs, à un maintien de la consommation de volaille, de poisson et d’œufs).
Chacune de ces actions ferait, à elle seule, gagner de 7 mois à 3,6 années d’espérance de vie.
RÉGIME EXTRÊME ?
Ces découvertes viennent conforter les recommandations officielles émises par Santé publique France, à savoir, notamment : augmenter la consommation de fruits à coque, de légumineuses, de céréales complètes et de légumes et diminuer celles de viande rouge et de charcuterie. Mais ces dernières se distinguent par le fait qu’elles ne fixent pas toujours un optimum mais plutôt des maximums (500 g/semaine pour la viande rouge, 150 g pour la charcuterie) et des minimums (au moins 5 fruits et légumes par jour, 2 portions de légumineuses par semaine, une portion de céréales complètes par jour…).
Le Dr Mathilde Touvier, directrice de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), juge d’ailleurs le régime proposé par les chercheurs norvégiens « assez extrême », lui préférant un « scénario intermédiaire ». Mais le Pr Kjell Arne Johansson, du département de Santé publique à l’université de Bergen, défend ses calculs : « Contrairement aux agences de santé publique, nous ne nous préoccupons pas de savoir si le régime sera facilement acceptable et appropriable ou non par la population. Nous calculons juste ce qui semble être le meilleur pour la santé, avec les dernières données de la science. »
La question de la faisabilité n’en reste pas moins fondamentale. Pour s’approcher d’un régime alimentaire aussi éloigné des habitudes de beaucoup de Français, il est en effet non seulement nécessaire d’avoir accès à l’information, mais aussi ne pas être en permanence exposé, dès le plus jeune âge, à des messages publicitaires contradictoires (or des études récentes, menées par l’UFC-Que Choisir et par Santé publique France, montrent que c’est actuellement le cas en France). Un minimum de confort social et économique est également nécessaire, si l’on en croit une étude française (3) publiée en 2010, qui révélait que l’adhésion aux recommandations officielles de santé publique variait très fortement en fonction des catégories socioprofessionnelles. Sans grande surprise, les personnes sans emploi en étaient les plus éloignées, tandis que les cadres et professions intermédiaires en étaient les plus proches.
Lire aussi
(1) https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.1003889
(2) Nous avons estimé grossièrement le régime français moyen à l’aide des résultats de la dernière étude des habitudes alimentaires des Français publiée par l’Anses (Agence nationale en charge notamment de la sécurité sanitaire de l’alimentation).
(3) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20497773/
Elsa Abdoun